Pays de Savoie : comment les maisons neuves sont devenues un produit de luxe

Choisir son petit pavillon, avec trois chambres, un bout de jardin et éventuellement une jolie clôture et même une piscine. C’est le rêve de 80 % des Français. Un idéal aujourd’hui remis en cause. De moins en moins de permis de construire sont en effet délivrés, tandis que dénicher un terrain devient de plus en plus difficile et de plus en plus cher. Bref, le rêve pourrait rapidement virer au cauchemar dès 2023 et pour les années à venir. Le modèle du pavillon individuel semble toucher à sa fin : les ventes de maisons individuelles sont en train de s’effondrer.

Une chute historique

Selon la Fédération française du bâtiment (FFB), les ventes de maisons ont plongé de - 31 % en France en 2022, comparées à l’année précédente. Et les Pays de Savoie n’échappent pas à cette dégringolade, qui accélère ces derniers mois. 

Le nombre de permis de construire délivrés a fortement chuté l’année dernière : seulement 1 200 en Savoie (- 14 %) et 1 800 en Haute-Savoie (- 18 %). Et la vapeur ne semble pas du tout s’inverser. Sur les deux départements, les autorisations ont même baissé de plus d’un tiers rien qu’au dernier trimestre 2022, par rapport au dernier trimestre 2021.

« C’est une chute historique. Même après la crise financière de 2008, jamais la construction de maisons neuves ne s’était aussi mal portée », indique Grégory Monod, président de la FFB. Ce contexte va provoquer, à terme, une grave crise de l’offre en maisons individuelles.Une flambée de leurs prix est donc à prévoir. Déjà trop rares, elles deviennent un produit de luxe. Si en France le coût de construction moyen d’une maison atteint 190 000 €, il faut plutôt un budget autour de 270 000 € en Pays de Savoie, selon les professionnels de la construction. Sans compter le prix du terrain.

De la difficulté de trouver un terrain...

« Le foncier disponible est de plus en plus rare et donc de plus en plus cher », explique Fabrice Moretti, président de la FFB en Haute-Savoie. Le phénomène s’aggrave partout en France et notamment en Pays de Savoie où la topographie, entre lacs, montagnes et espaces naturels, limite d’autant plus les possibilités. « Les ménages qui souhaitent faire construire se confrontent à un double obstacle : trouver un terrain et au bon prix », ajoute-t-il.

Selon les Notaires de France, la valeur des terrains à bâtir a encore augmenté de 7,6 % en Haute-Savoie et de 16 % en Savoie en 2022. Difficile de trouver à moins de 200 € le m². C’est parfois beaucoup plus autour du lac d’Annecy où le budget se situe autour de 400 € le m² en moyenne.

« Pour faciliter la vie de nos clients, nous effectuons la recherche du terrain. C’est une tendance qui prend de l’ampleur », observe Nicolas Bonnet, directeur général d’Artis, constructeur de maisons sur le territoire. Mais encore faut-il obtenir le permis de construire ensuite.

La fin d’un rêve ?

Afin de réaliser leur rêve, dans leur budget, les acquéreurs cherchent des terrains de plus en plus petits. « Construire sur des parcelles de plus de 1 000 m² devient très rare », constate Grégory Moinat, directeur régional de Maisons Clair Logis. Mais la parade a ses limites : près de 40 % des terrains vendus autour de villes comme Chambéry, Aix-les-Bains ou Annecy font moins de 600 m².

Un terrain dont il ne reste pour jardin que l’équivalent d’un balcon une fois la maison construite répond-il vraiment au rêve français du pavillon individuel ? Et surtout, cela a-t-il encore du sens ?

Le législateur est justement en train de répondre à cette question par la négative. « Depuis 2018, le gouvernement impose aux communes, départements et régions de réduire de moitié l’artificialisation des sols d’ici 2030 », explique Yann Le Corfec, délégué national à l’aménagement et au foncier du Pôle Habitat de la FFB.

L’objectif de l’État est écrit noir sur blanc : « modifier les règles d’urbanisme pour favoriser la densification de l’habitat. » En clair, cela signifie que de moins en moins de permis de construire seront délivrés pour les maisons individuelles.

« Un très bon placement »

Aux terrains et droits à construire trop rares, il faut ajouter une hausse des coûts de construction. Avec la crise sanitaire, le prix de certains matériaux s’est envolé. C’est le cas des tuiles, des huisseries ou encore des isolants.

« Même si le prix des matériaux commence à se stabiliser, ce n’est pas le cas de celui de la main-d’œuvre, explique Jean-Thomas Olano, président de Rising Stone by Promo6, constructeur situé à Méribel. Nous manquons d’artisans disponibles pour réaliser les chantiers. Leurs prix sont donc de plus en plus élevés. » Pour sa part, Grégory Moinat estime, qu’entre 2021 et 2022, « le prix d’une maison neuve a augmenté de 15 % environ. »

Pour la plupart des constructeurs, la messe est dite : la maison individuelle devient un rêve élitiste que seuls quelques ménages vont pouvoir concrétiser. D’autant plus dans un contexte de remontée des taux d’emprunt.

« Faire construire une maison ne permet plus d’accéder à la propriété, comme cela a longtemps été le cas, confirme Nicolas Bonnet. En Savoie et en Haute-Savoie, ceux qui font construire sont des clients âgés d’au moins 40 ans, disposant de gros apports ou qui travaillent en Suisse et possèdent de hauts revenus. »

« Dans le secteur de la construction neuve, nous sommes d’ailleurs nombreux à proposer de plus en plus des maisons haut de gamme », constate Grégory Moinat. Et donc de plus en plus chères… Mais ceux qui peuvent se le permettre auraient tort de s’en priver.

Pour Nicolas Bonnet, « acheter une maison neuve actuellement est sans doute le meilleur placement à faire. Dans les années à venir, la maison individuelle va bénéficier d’un effet de rareté qui va faire indéniablement exploser sa valeur. » Comme souvent avec les produits de luxe.

Source : Article écrit par Yann FORAY, Le Dauphiné Libéré